Archive for the ‘Futur Anterieur’ Category

Infinité de la communication/finitude du désir
Mise en ligne mars 1992
par Toni Negri
Jamais comme aujourd’hui, le rapport média-spectateur n’a été à ce point démonisé et cela ne fait qu’empirer. Qui plus est, on a voulu donner du message médiatique l’image d’une rafale de mitraillette s’abattant sur le spectateur – misérable cible d’un pouvoir omniprésent – et l’anéantissant. Ce moralisme obtus et déprimant a pris l’allure d’un rituel, plus particulièrement pour une gauche désormais incapable d’analyses et de propositions positives et qui continue à se cantonner dans d’inutiles lamentations. On nous représente une vie quotidienne dominée par le monstre médiatique comme une scène peuplée de fantasmes, de zombies prisonniers d’un destin de passivité, de frustrations et d’impuissances.
Cette démonisation n’est pas la seule composante de la définition du rapport média-public-vie quotidienne. La “science de la communication” lui est un bon support. Car en effet la communication est en permanence rabattue sur l’information, et les médias sont conçus comme des fonctions linéaires qui prolongent dans la société des messages d’une efficacité toute pavlovienne. Comme cela se passe déjà en linguistique, dans les sciences de la communication (ou plutôt dans les “soi-disant” sciences de la communication), le langage est aujourd’hui disséqué et sa subjectivité évacuée. Tout ce qui est éthique, politique, poétique, interactif, non immédiatement discursif, dans le rapport média/public (comme cela l’est déjà dans le rapport sujet/langage), est éliminé. C’est sur cette réduction scientifique (si l’on peut dire !) que prennent appui les conceptions terroristes des médias, les lamentations des moralistes et surtout une vision réifiée et intransitive de la vie politique se traduisant par : il n’y a rien à faire ! impossible d’échapper à cet esclavage ! C’est ici que se confirme la sacralité du pouvoir, dans cette toute nouvelle modernité.
La gauche ne sait que proposer la théorie de la manipulation et plaint les malheureux spectateurs qu’on réduit à des récepteurs passifs. Certes, il n’est pas dans nos intentions de nier les effets régressifs que provoque le monde des médias actuels sur ses utilisateurs. Certes, nous ne sommes pas insensibles à la dégradation du goût et du savoir collectif, non plus qu’à la colonisation des univers du vécu. De plus, il nous semble absolument évident que la machine médiatique ne produit pas du tout ces effets en toute innocence. Dans le système de pouvoir actuel elle produit consciemment des codes infectés et épidémiques, destinés à empêcher et à court-circuiter les mécanismes de production symbolique. Sélection stratégique et instrumentale des contenus informatiques, renversement systématique des sens et des valeurs, réduction extrême de l’information à la marchandise et de la communication à la vénalité et à la futilité : et allons-y gaiement !
Mais une fois reconnu tout cela, la théorie de la manipulation est-elle vraie pour autant, peut-on continuer à la soutenir ? Le catastrophisme et les invocations lyriques à se libérer de la domination des médias faiseurs de marchandises des derniers critiques de l’école de Francfort sont-ils encore d’actualité ? Non, l’être humain n’est pas unidimensionnel, et il faut résolument refuser ces conceptions dont nous avons parlé jusqu’ici et que la gauche moralisante et pessimiste a fait siennes. D’abord parce qu’elles sont fausses ; ensuite parce qu’elles ont pour résultat impuissance éthique et défaitisme politique.
Elles sont donc fausses. Ce n’est pas ici le lieu de reprendre les longues discussions, toujours intéressantes par ailleurs, qui ont accompagné le développement des sciences linguistiques et le dépassement d’un structuralisme mécanique et mesquin qu’elles ont opéré. Il suffit de se rappeler comment de Bakhtine à Hjelmslev, de Benjamin à Deleuze, pour ne citer que quelques auteurs essentiels, la grave distorsion objectiviste et fonctionnelle que la linguistique avait subie, a été réparée, au moins en partie. S’il est aujourd’hui possible de recommencer à parler de sciences de la communication c’est donc sur la base d’une théorie qui réintroduit des dimensions ontologiques et subjectivistes, des éléments autopoïétiques et créatifs, dans la description des agencements collectifs qui se constituent dans le tissu médiatique et communicationnel. L’opérativité collective, éthico-politique, émotive et créative, qui agit dans le monde de la communication, est un élément irréductible, une résistance qui ouvre sur d’autres voies : elle est essentiellement à la base de nouvelles constitutions des sujets et de nouvelles inter-relations qui ne cessent de se produire. L’ensemble “machinique” de la communication médiatique est un monde de transformation et de constitution, comme tous les autres mondes “machiniques” dans lesquels la vie de l’être humain se trouve insérée. Marx avait montré comment l’accumulation capitalistique en transformant progressivement l’être humain, c’est-à-dire le travailleur, développe au maximum sa productivité, en en faisant une force productive capable de s’auto-valoriser et donc d’être une force révolutionnaire. Par l’accumulation de communication, la conscience de l’être humain se transforme et il devient apte à une reconnaissance collective de cet élargissement des possibilités de savoir et des capacités de transformation qui, seules, peuvent lui assurer davantage de liberté.
Nous voici donc au coeur du problème, c’est-à-dire qu’il faut considérer le monde de la communication comme le lieu dans lequel les grandes forces sociales du savoir et de la communication se posent comme les seules forces productives. Le travail collectif de l’humanité prend consistance dans la communication et le paradigme communicationnel s’identifie peu à peu, mais avec une évidence de plus en plus grande, à celui du travail social, à celui de la productivité sociale. La communication devient la forme sous laquelle s’organise le monde de la vie avec toute sa richesse. La nouvelle subjectivité se constitue à l’intérieur de ce contexte de machines et de travail, d’instruments cognitifs et d’autoconscience poïétique, de nouvel environnement et de nouvelle coopération. Le travail humain de production d’une nouvelle subjectivité prend toute sa consistance dans l’horizon virtuel qu’ouvrent de plus en plus les technologies de la communication.
Il nous faut revenir une fois de plus à l’analyse et à la critique marxienne du travail pour retrouver dans ce processus le mécanisme de l’exploitation et les raisons de la révolution. Nous allons y revenir dans le cas présent : c’est-à-dire à ce stade où la communication nous apparaît désormais comme la machine qui domine toute la société, mais à l’intérieur de laquelle la coopération des consciences et des pratiques individuelles atteint son niveau de productivité le plus élevé -productivité du sujet, coopération des sujets, production d’un nouvel horizon tout à la fois de richesses et de libération. Au sein même de ce travail communicationnel, les résistances ultimes d’un monde capitalistique réifié, pris dans les déterminations fétichistes de l’horizon de la marchandise, s’affaiblissent : la réalité, la nature, la société se trouvent prises dans la consistance du flux des événements ; l’activité communicationnel de la force de travail, des consciences communicantes, des sujets coopérants devient donc capable de mettre en oeuvre, radicalement, la transformation sociale, sans autre limite que la finitude de notre désir. Une finité qui a pour seul obstacle l’infinité de la tâche.
Nous entrons dans une ère post-médiatique. La seconde critique que nous pouvons faire aux théories de la communication que le pouvoir nous offre aujourd’hui s’appuie sur cette constatation. C’est à partir de là que l’on peut démystifier la perspective d’un esclavage politique inéluctable (et de la poursuite de l’exploitation du travail). C’est-à-dire en étant conscient que le triomphe du paradigme communicationnel et la consolidation de l’horizon médiatique, par sa virtualité, sa productivité, l’extension de ses effets, loin de déterminer un monde pris dans la nécessité et la réification, ouvrent des espaces de lutte pour la transformation sociale et la démocratie radicale. C’est à l’intérieur de ce nouveau champ qu’il faut porter le combat.
Combat pour réduire tous les éléments et les agents qui répètent, dans le nouveau mode de production de la subjectivité, les vieilles normes, les codes et les paradigmes misérables de l’ancien art de régner : lutte de réappropriation des médias et de toutes les articulations de la communication. Les destructions à opérer dans ce champ sont innombrables : comment détruire le système privé et/ou étatique, le monopole capitalistique de la communication ?
Comment annuler l’intervention des professionnels de la communication et de tout le système de codes de pouvoir qu’ils véhiculent ? Comment miner le terrain sur lequel repose ce centre de production des appareils idéologiques ? Mais si les destructions à opérer sont amples et ardues, bien plus importantes encore et plus accaparantes sont les opérations positives à penser. Il s’agit d’imaginer et de construire un système collectif de communication d’où seraient exclus le privé et l’étatique. Il s’agit de construire un système de communication publique fondé sur l’interrelation active et coopérante des sujets. Il s’agit de relier communication/production/vie sociale dans des formes de proximité et de coopération de plus en plus intenses. Il s’agit en somme d’envisager une démocratie radicale dans la société comme dans la production, à mettre en forme dans les conditions de l’horizon post-média

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La première crise du postfordisme.
Mise en ligne mars 1993
par Toni Negri

L’un des rares divertissements de cette gauche lugubre, accablée par le remords, les défaites et l’absence d’imagination, a été, pendant ces dernières années, de débattre sur le fait de savoir si l’on était entré ou non dans une nouvelle phase de l’organisation du travail et de la société – après le taylorisme, le fordisme et le keynésianisme. Ce qui semblait évident pour la majorité des gens doués de bon sens se révélait si difficile à digérer pour la gauche que, même quand l’évidence s’imposait (l’informatisation du social, l’automation dans les usines, le travail diffus, l’hégémonie croissante du travail immatériel, etc.), elle ne l’acceptait qu’avec force grimaces de dégoût, amorphisme caractérisé, accompagnées de « oui.. mais », et d’une tendance irrésistible à tourner en rond. L’effet était singulièrement comique. On ne voulait, en somme, admettre à aucun prix qui, tout avait changé après 1968 – donc pendant les vingt dernières années, et qu’en particulier, le refus du travail exprimé par la classe ouvrière, se combinant à l’innovation technologique qui s’en est suivie (justement les phénomènes d’immatérialisation du travail à grande échelle), avait déterminé une situation nouvelle et irréversible, aussi bien dans l’organisation du travail que dans celle de l’États et qu’il devait obligatoirement s’ensuivre une émancipation totale du mouvement ouvrier vis-à-vis de toute sa tradition, et l’invention déformes de lutte et d’organisation adéquates. La comédie a vite tourné à la tragédie. Vidées de toute référence à la réalité, l’idéologie et même la passion sincère qui animaient tant de militants se sont révélées par stupidité

Dans le numéro 10 de « Futur Antérieur », comme dans le présent numéro, nous avons cherché à rendre compte de l’intensité et de la profondeur des mutations du travail, tant dans sa situation que dans son concept, et des lois sociales qui en déterminent la nouvelle valorisation. Il devient aujourd’hui de plus en plus urgent de mettre à l’ordre du jour la question de la production d’une subjectivité adéquate à ces mutations.

Il s’agit d’œuvrer de l’intérieur même des modifications de la structure de classe, de la société, de l’idéologique, du politique. Il s’agit de poser au coeur du débat de nouvelles catégories : communication, nouvelle quotidienneté, nouvelles expériences d’exploitation et d’antagonisme.

Pendant longtemps, nous avons travaillé à cette nouvelle élaboration quasi dans la clandestinité. Aujourd’hui toute une série d’événements politiques – souvent superficiels mais non moins importants et répétés – semblent imposer une accélération du débat, semblent obliger tout le monde à abandonner tant les anciennes convictions que les ressentiments historiques et les incertitudes théoriques. Que se passe-t-il ? Ce qui se passe, c est que dans l’empire néolibéral dominant, un nouveau Président relance un New Deal extravagant, que dans l’Allemagne monétariste l’industrialisme revient au premier plan pour répondre au défi de l’unification nationale, que la droite française désormais victorieuse de dix années de mitterrandisme est, elle aussi, à la recherche de nouveaux corporatismes et de nouveaux industrialismes. Et enfin, il y a le big bang de Rocard : l’énarque de service propose aux socialistes et à la gauche de se reconnaître et de se réorganiser dans le postfordisme. Un fait cependant est plus fondamental : il fallait que la première crise du postfordisme se déchaîne, sans que nul ne sache comment la contrôler, pour que tout le monde accepte finalement de reconnaître que l’on se trouve dans une situation nouvelle – économiquement, politiquement, symboliquement. Nous y sommes donc, et en plein !

Certes, nous le savons depuis des années. Mais sera-t-il possible, – pour des militants qui ont vécu la crise de l’ancien mode de production et des vieilles organisations non pas comme une défaite, mais comme une nécessité – de réunir les énergies, de réinventer l’avenir, de construire des communautés de recherche et d’action vastes et déterminées ? Réussira-ton à étudier cette première crise du postfordisme comme la forme sous laquelle se présenteront les prochaines crises du nouveau mode de production et au sein desquelles la passion du communisme pourra de nouveau se faire expérience de masse ?

Revenons à notre sujet : l’analyse du travail. Quels sont les points autour desquels se concentre la première crise du postfordisme et qui la rendent désormais évidente ?

Le premier point réside dans laformidable asymétrie que révèle le système du commandement international entre les instruments du contrôle monétaro-financier et la valorisation productive. Asymétrie qui équivaut à crise. Car le commandement monétaire et financier en réclamant la socialisation de la production, la participation des classes laborieuses, la récupération des phénomènes de coopération productive, qui ont besoin de l’anticipation de l’entreprise capitalistique mais qui sont préconstitués par le développement social du travail immatériel, en laissant de côté les contradictions qu’il révèle en lui-même… et qui sont énormes, devient chaotique et incapable d’un projet rationnel quand il se trouve confronté aux nouvelles modalités de la valorisation du capital.
Le second point consiste dans la mise à jour de nouveaux antagonismes à l’intérieur de la nouvelle organisation du travail. Là, dans l’entreprise automatisée, la nouvelle valorisation doit s’en remettre à l’« âme » même de l’ouvrier, à l’épanouissement de sa liberté et de son intelligence ; dans le travail tertiaire, la nouvelle valorisation est basée sur la capacité du sujet qui travaille à recueillir et à utiliser la relation sociale dans l’acte productif ; dans le travail de la communication, la nouvelle valorisation s’instaure sur la créativité de la coopération, de l’élaboration du sens, dans le déploiement total de la subjectivité interactive ; dans la science, la nouvelle valorisation opère des agencements de machines complexes qui construisent en toute liberté une nouvelle nature. Dans chacun de ces cas la valorisation productive s’oppose, radicalement, au commandement. Le capital, la propriété, la disciplinarisation, la hiérarchie, l’État sont parasitaires par essence. Asymétrie du commandement et de la production égale Crise, équation valable au niveau économico-politique macroscopique et qui se vérifie de plus en plus au fur et à mesure que l’analyse plonge dans le microscopique, au niveau des individualités et des sujets collectifs de production. La vie productive réagit contre un ordre qui se veut légitime mais qui ne sait ni ne peut réorganiser le consensus, la participation, la représentation.

Dans cette crise objective, nombreuses sont les voies qu’essaient d’emprunter les forces sociales et politiques. Il y a celles que, dans le désespoir et l’égarement, de larges couches de la population recherchent quasi spontanément, prothèses illusoires pour se raccrocher hâtivement à un point de référence quelconque. Dans ce registre-là, les vieux nationalismes et les nouveaux localismes, les idéologies sécuritaires et les fantasmes le proximité s’articulent dans des formes confuses et monstrueuses L’Europe pullule d’espèces de ce nouveau zoo archaïque. Les guerres que ne petit manquer de produire cette irrationalité insidieuse, guerres intestines aussi bien qu’internationales, ont déjà resurgi sous nos yeux. Il existe une autre option, plus réfléchie mais tout aussi réactionnaire, qui retrouve elle aussi une vigueur inattendue : c’est la voie populiste, entendue au sens de la défense du statu quo, consistant en particulier, au sein des nouveaux paramètres de la production, à maintenir sous des formes nouvelles de vieux compromis institutionnels et corporatifs. Ce qu’on explique dans les milieux de la hiérarchie impériale de l’ordre monétaire (tout en reconnaissant que cet aspect de la crise est fondamental), c’est que le salut ne peut venir que de la recodification du flux du commandement international, en fonction des normes d’un ordre productif qui a fait ses preuves : sinon c’est le saut dans le vide qui nous attend.. Il n ’y a aucune difficulté à reconnaître là bon nombre des solutions politiques qui se présentent aujourd’hui sous l’appellation de nouvel industrialisme, keynésianisme rénové, relance « communautaire » (au sens américain du terme) de compromis institutionnels.

Des Strates importantes, tant du vieux mouvement ouvrier que des nouvelles couches libérales, épouvantées par la violence de la mutation productive, semblent de plus en plus s’accrocher à cette perspective de sortie de la crise. On y trouve tout un cocktail de positions, ou pluôt intensités différentes réunissant à la fois des éléments conservateurs, populistes et communautaires : actuellement des différenciations apparaissent déjà et nous pourrons très vite les voir s’organiser selon des projets politiques distincts. Mais ce qui semble l’emporter c’est la tendance à un « grand centre » communautaire. Le néo-interventionnisme de Clinton trouve l’appui de Perot l’industrialisme de Kohl semble sortir des studios du D. G. B. le big-bang de Rocard déplace résolument les équilibres politiques vers la sphère des idées fixes aristotélicienne du Royaume de France. La droite et le centre se réorganisent donc à l’intérieur du scénario de la première crise du postfordisme. Existe-t-il dans ce contexte un espace pour une refondation de la gauche ? Est-il possible, dans les conditions du postfordisme et de sa crise, de réorganiser une nouvelle social démocratie révolutionnaire ?

La question n’aurait aucun sens si l’on s’attardait seulement à considérer les aspects objectifs internationaux de la crise et les conséquences idéologiques et pratiques qui en découlent à ce niveau. Certes, ni les nouveauxfascismes, ni le grand centre communautaire ne réussiront à y répondre : la crise va s’aggraver au cours des prochaines années ; et en particulier, le caractère dramatique des conflits commerciaux et politiques internationaux va s’accentuer – dans une mesure inconnue jusque-là dans les années d’après-guerre. Par contre, une refondation de la gauche n’est pensable, et ne peut devenir la matière d’une praxis collective de masse, que si l’on place au coeur de notre analyse et de notre action les contradictions nouvelles qui agissent dans la production, et si tous les efforts tendent à découvrir, à imaginer et à organiser les nouvelles conditions de production de subjectivité antagonique. Ce sont les cerveaux des chercheurs qui veulent faire naître des énergies infinies et de nouvelles machines de vie, en soumettant la force de l’industrie et en l’orientant vers la libération collective ; ce sont les nouveaux travailleurs qui savent combien leur âme peut donner à la communauté de recherche et de travail à laquelle ils s’identifient de plus en plus ; ce sont les nouveaux sujets productifs, dans la communication, dans la production d’imaginaire, dans l’assistance publique qui conçoivent désormais le travail comme une coopération social- : c’est avec tous ces sujets-là qu’une nouvelle politique de gauche doit s’élaborer et devenir effective.

L’exploitation et la pauvreté sont toujours des réalités massives à déraciner, à détruire – mais les moyens sont là, comme la capacité de s’associer et par là de déterminer la subversion. Avec la première crise du postfordisme se rouvre un espace d’anticipation théorique et pratique, fondé sur de nouvelles contradictions, de nouvelles dynamiques de résistance, de nouveaux modèles de coopération, que les réactions capitalistiques, qu’elles soient populistes ou centristes, ne réussiront jamais à occuper, parce que seul celui qui a en main les clés pour réduire à néant la distance si courte qui sépare la domination capitalistique et le pouvoir constituant du travail vivant peut construire le futur.
Traduction Giselle Donnard

Luttes sociales et contrôle systémique
Première publication en février 1992
Mise en ligne le mercredi 7 juillet 2004
par Toni Negri

C’est au milieu des années 80 qu’est apparu un nouveau mouvement de luttes sociales – nouveau parce que les caractéristiques de ces luttes sont nouvelles, mouvement parce que ces luttes commencent à constituer un cycle de plusieurs années d’expériences de rupture par rapport à l’ordre social du capitalisme de la maturité. Les nouvelles caractéristiques de ces luttes tiennent à la forme démocratique radicale de leur organisation, à la transformation du rapport au syndicat (qui devient de plus en plus un simple canal de transmission de la volonté de la base), à la dimension sociale des objectifs, à la recherche d’un soutien social de la part des vieux segments de lutte de classe (surtout les ouvriers, mais aussi les paysans), à l’émergence de la composante féminine, à l’intervention de la composante tertiaire et de la composante intellectuelle (surtout la force de travail en formation) à l’intérieur du processus. On peut vraiment parler d’un nouveau cycle de luttes du fait que ces luttes se différencient largement de celles des années 70 (sauf en ce qui concerne le caractère d’anticipation qu’elles avaient pu prendre en Italie ou en Allemagne), qu’elles rompent avec les attitudes défensives envers la restructuration, l’assumant au contraire en tant que contexte de lutte, qu’elles font se développer les objectifs et les comportements de masse liés aux nouvelles contradictions de la restructuration, et qu’elles commencent à constituer une succession d’expériences, de moments de rupture et/ou de négociations tout à fait originaux.

En ce moment même, nous nous trouvons en Europe et surtout en France devant des mouvements de lutte relativement amples. En France, les paysans et les ouvriers de Renault-Cléon, le “mouvement permanent” des infirmières, les ouvriers de l’électronique aérienne, les camionneurs, les travailleurs de la santé, etc… ont porté de rudes coups à la paix sociale au cours des derniers mois. De quelle façon et dans quelle mesure peut-on considérer ces luttes comme base possible de ré-ouverture d’espaces politiques et de relance d’objectifs de transformation communiste ? Le nouveau cycle de luttes sociales peut-il donner naissance d’un nouveau cycle politique s’attaquant au pouvoir capitaliste ?

Laissons ceux qui font l’apologie du “capitalisme comme horizon indépassable” ironiser sur cette question. En ce qui nous concerne nous savons que les stratégies capitalistes et celles de l’État prennent autant que nous au sérieux dans leurs analyses les mouvements actuels. En effet, patrons et fonctionnaires de la paix sociale travaillent assidûment à mettre les structures de pouvoir à l’abri des luttes, à casser le mouvement précisément dans ce qu’il a de cyclique et de cumulatif, à établir une nouvelle forme de contrôle social des luttes. En quoi consiste cette nouvelle forme de contrôle ?

Le nouveau type de contrôle se présente sous trois formes. La première, c’est le micro-contrôle préventif, qui s’appuie encore fondamentalement sur les fonctionnaires syndicaux et les spécialistes du social. La différence entre le vieux contremaître d’usine et le nouveau contremaître social est à cet égard d’importance, car le premier essayait de contrôler l’ouvrier dans son milieu social, tandis que le second intervient directement sur le milieu social, en tentant de rompre toute possibilité de communication, de recomposition, de généralisation des luttes. On oppose au mouvement une nouvelle forme de corporatisme. On fait agir une unité corporatiste transversale comme élément de compression et d’étouffement des initiatives de base. C’est tout à fait caractéristique pour ce qui est de la lutte des infirmières, ce “mouvement perpétuel” qui apparaît et disparaît pour réapparaître toujours plus riche d’objectifs plus forts : on essaie alors de diluer et d’affaiblir le mouvement au sein de la socialité restreinte de la corporation médicale, tandis que le mouvement des infirmières vit et se renouvelle au contraire dans son rapport avec l’ensemble de la société, en se confrontant aux problèmes de la crise du Welfare State, dans son aspiration à représenter le caractère général des problèmes de la vie (de la reproduction de la force de travail), face aux valeurs et à l’administration capitalistique de la vie.

La seconde forme du nouveau contrôle consiste à réviser le cadre de référence. Les mouvements sont noyés dans un ensemble systémique : ce qui signifie que toute modification de l’organisation statutaire, réglementaire, salariale, etc… d’une catégorie touche toutes les autres. On oppose ainsi aux mouvements moléculaires des luttes sociales, une globalité fluide et dynamique constituée en opposition molaire. Le néolibéralisme a exalté la multiplicité des acteurs sociaux, a reconduit tout le social à la pluralité : et c’est ainsi que l’État, de tout son pouvoir souverain et au nom de sa préoccupation de l’équilibre général, intervient dans chaque petite lutte, dans chaque fragment de mouvement. Qu’il est beau ce néolibéralisme qui nous fait voir dans le ministère la contrepartie de chaque singularité en lutte !

La troisième forme du contrôle consiste à relever (et par conséquent à rigidifier) les normes de la négociation. Cela concerne aussi bien les rapports entre associations de travailleurs et associations patronales, que l’État et le contrôle du ministère des Finances sur tout ce qui bouge. Cela concerne aussi les nouvelles réglementations de type financier et monétaire : chantage à multiples faces, rejoué sur un rythme de plus en plus rapide et dans des espaces de plus en plus circonscrits.

Les protagonistes des luttes actuelles ont fait l’expérience de ce nouveau cadre de contrôle sous ses différents aspects et en sont désormais conscients. Comment peuvent-ils casser ces nouvelles formes du contrôle systémique des luttes ? C’est une question pratique. C’est une question nouvelle. Il est en effet tout à fait évident que l’exigence de généralisation des luttes ne peut plus passer à travers les formes héritées de la tradition ouvrière : élargissement sectoriel ou à la corporation, et – dans un second temps – grève générale. Dans un cas comme dans l’autre, au niveau actuel de développement des nouveaux mouvements, ces niveaux de génération ne correspondent à aucune maturité du point de vue subjectif et, du point de vue objectif, ne permettent pas de constituer des espaces où le contre pouvoir des travailleurs puisse s’organiser démocratiquement et de façon autonome. Ces espaces sont confisqués par les institutions officielles, syndicales ou corporatistes, qui – compte tenu de la crise de la représentation politique et syndicale qui caractérise notre époque – suppriment brutalement, mieux, mettent fin à toute illusion de représentation démocratique et de négociation efficace. Ces espaces sont en fait organisés dans le contexte systémique de la répression des luttes. La grève générale corporatiste est un instrument typique de la “réduction de la complexité” entendue comme technique de pacification et de reconstitution conservatrice de l’équilibre social (c’est-à-dire des conditions du développement capitalistique).

Comment peut-on alors poser d’une manière efficace et politiquement acceptable le problème de la reconstruction d’un horizon général pour le mouvement ? Les conditions d’une riposte stratégique à cette question ont commencé à se dégager, avec difficulté mais assez clairement au cours des dernières luttes. Cette réponse commence à percer avant tout dans les comportements au cours des luttes. Il faut en signaler deux caractéristiques. Tout d’abord, les luttes cherchent toujours à mettre en évidence les éléments de connexion du travail social, à mettre en lumière dans toute revendication les aspects de coopération sociale. Qu’il s’agisse des infirmières, où la maturation de ces comportements a atteint un haut degré de maturité ou des paysans qui commencent à poser des problèmes écologiques généraux ; qu’il s’agisse encore des ouvriers de l’automobile, des transports, des contrôleurs aériens où le rapport à l’automation croissante devient un problème social général, eh bien, dans chacun de ces cas un projet de coopération sociale parcourt les luttes. Il n’est pas de lutte sans utopie : depuis la disparition du projet socialiste, un nouveau projet politique fait sa réapparition dans chaque lutte nouvelle, un projet politique de fond, réaliste, articulé, un projet de réorganisation du travail en tant que globalité sociale, à partir de la base, de la capacité des travailleurs à construire une alternative démocratique. La coopération productive peut être gérée par la base, la globalité des interrelations de l’économie postindustrielle peut être socialement assumée dans l’activité des sujets sociaux. A partir de là, nous arrivons immédiatement à la seconde caractéristique de ces luttes. Il s’agit d’une deuxième forme de réponse au systémisme du contrôle étatique qui s’appuie sur la conscience que seule la sollicitation permanente des sujets sociaux peut permettre la refondation de la démocratie. Aujourd’hui, c’est non seulement “le démocratique”, mais “le politique” qui se construit dans et par les luttes sociales. Le système politique du capitalisme de la maturité est amorphe, sa dynamique est parasitaire, sa norme est économiste. Le capitalisme de la maturité ne connaît plus la politique démocratique, ignore l’expression de l’intérêt général, ou plutôt la rejoue sous la forme de la bureaucratie généralisée, de la globalité contraignante et absolutiste. Au contraire, les luttes, avec leur éparpillement diffus, montrent une renaissance du politique, en tant que pouvoir constituant, en tant que synthèse entre activité des sujets et nouveaux objectifs sociaux.

Étudier les luttes sociales dans le contexte systémique du contrôle signifie alors se donner la capacité de vivre entièrement le paradoxe qui fait que là où le politique est censé se situer dans les structures de l’État, du contrôle, de la paix sociale, il n y a plus de politique et il n’y a pas de démocratie. Ce n’est, bien au contraire, que là où l’on croit devoir dénoncer la confusion et la complexité irréductible des luttes sociales, que se trouvent les germes d’une conception nouvelle de la démocratie et d’un pouvoir innovateur. Mais pour que tout ceci apparaisse clairement aux yeux de tous, il est nécessaire – et nous ne formulons pas là une espérance, mais nous exprimons quelque chose qui est dans l’air du temps – que d’autres secteurs du social entrent en lutte, surtout ceux qui expriment la socialisation la plus large (comme les étudiants, les prolétaires de banlieue, les autres secteurs de la force de travail féminine). Ceci est nécessaire pour massifier le mouvement, pour systématiser, avec la massification, ces expériences de projet et de reconstruction démocratique que nous proposent les différentes luttes actuelles même quand elles sont mineures.

Control and Becoming

Gilles Deleuze in conversation with Antonio Negri

Negri: The problem of politics seems to have always been present in your intellectual life. Your involvement in various movements (prisoners, homosexuals, Italian autonomists, Palestinians), on the one hand, and the constant problematizing of institutions, on the other, follow on from one another and interact with one another in your work, from the book on Hume through to the one on Foucault. What are the roots of this sustained concern with the question of politics, and how has it remained so persistent within your developing work? Why is the rela­tion between movement and institution always problematic?

Deleuze: What I’ve been interested in are collective creations rather than rep­resentations. There’s a whole order of movement in “institutions” that’s independent of both laws and contracts. What I found in Hume was a very creative conception of institutions and law. I was initially more interested in law than politics. Even with Masoch and Sade what I liked was the thoroughly twisted conception of contracts in Masoch, and of institutions in Sade, as these come out in relation to sexuality. And in the present day, I see Francois Ewald’s work to reestablish a phi­losophy of law as quite fundamental. What interests me isn’t the law or laws1 (the former being an empty notion, the latter uncritical notions), nor even law or rights, but jurisprudence. It’s jurisprudence, ultimately, that creates law, and we mustn’t go on leaving this to judges. Writers ought to read law reports rather than the Civil Code. People are already thinking about establishing a system of law for modern biology; but everything in modern biology and the new situations it creates, the new courses of events it makes possible, is a matter for jurisprudence. We don’t need an ethical committee of supposedly well-qualified wise men, but user-groups. This is where we move from law into politics. I, for my own part, made a sort of move into politics around May 68, as I came into contact with specific problems, through Guattari, through Foucault, through Elie Sambar. Anti-Oedipus was from beginning to end a book of political philosophy.

Negri: You took the events of ’68 to be the triumph of the Untimely, the dawn of counteractualization.2 Already in the years leading up to ’68, in your work on Nietzsche and a bit later in Coldness and Cruelty, you ‘d given a new mean­ing to politics—as possibility, event, singularity. You ‘d found short-circuits where the future breaks through into the present, modifying institutions in its wake. But then after ’68 you take a slightly different approach: nomadic thought always takes the temporal form of instantaneous counteractualization, while spatially only “minority becoming is universal.” How should we understand this universality of the untimely?9

Deleuze: The thing is, I became more and more aware of the possibility of dis­tinguishing between becoming and history. It was Nietzsche who said that nothing important is ever free from a “nonhistorical cloud.” This isn’t to oppose eternal and historical, or contemplation and action: Nietzsche is talking about the way things happen, about events them­selves or becoming. What history grasps in an event is the way it’s actu­alized in particular circumstances; the event’s becoming is beyond the scope of history. History isn’t experimental,3 it’s just the set of more or less negative preconditions that make it possible to experi­ment with something beyond history. Without history the experi­mentation would remain indeterminate, lacking any initial condi­tions, but experimentation isn’t historical. In a major philosophical work, Clio, Peguy explained that there are two ways of considering events, one being to follow the course of the event, gathering how it comes about historically, how it’s prepared and then decomposes in history, while the other way is to go back into the event, to take one’s place in it as in a becoming, to grow both young and old in it at once, going through all its components or singularities. Becoming isn’t part of history; history amounts only the set of preconditions, however recent, that one leaves behind in order to “become,” that is, to create something new. This is precisely what Nietzsche calls the Untimely. May 68 was a demonstration, an irruption, of a becoming in its pure state. It’s fashionable these days to condemn the horrors of revolu­tion. It’s nothing new; English Romanticism is permeated by reflec­tions on Cromwell very similar to present-day reflections on Stalin.4 They say revolutions turn out badly. But they’re constantly confusing two different things, the way revolutions turn out historically and peo­ple’s revolutionary becoming. These relate to two different sets of people. Men’s only hope lies in a revolutionary becoming: the only way of casting off their shame or responding to what is intolerable.

Negri: A Thousand Plateaus, which I regard as a major philosophical work, seems to me at the same time a catalogue of unsolved problems, most particularly in the field of political philosophy. Its pairs of contrasting terms—process and pro­ject, singularity and subject, composition and organization, lines of flight and apparatuses/strategies, micro and macro, and so on—all this not only remains forever open but it’s constantly being reopened, through an amazing will to theorize, and with a violence reminiscent of heretical proclamations. I’ve nothing against such subversion, quite the reverse . . . But I seem sometimes to hear a tragic note, at points where it’s not clear where the “war-machine” is going.

Deleuze: I’m moved by what you say. I think Felix Guattari and I have remained Marxists, in our two different ways, perhaps, but both of us. You see, we think any political philosophy must turn on the analysis of capital­ism and the ways it has developed. What we find most interesting in Marx is his analysis of capitalism as an immanent system that’s con­stantly overcoming its own limitations, and then coming up against them once more in a broader form, because its fundamental limit is Capital itself. A Thousand Plateaus sets out in many different direc­tions, but these are the three main ones: first, we think any society is defined not so much by its contradictions as by its lines of flight, it flees all over the place, and it’s very interesting to try and follow the lines of flight taking shape at some particular moment or other. Look at Europe now, for instance: western politicians have spent a great deal of effort setting it all up, the technocrats have spent a lot of effort getting uniform administration and rules, but then on the one hand there may be surprises in store in the form of upsurges of young peo­ple, of women, that become possible simply because certain restric­tions are removed (with “untechnocratizable” consequences); and on the other hand it’s rather comic when one considers that this Europe has already been completely superseded before being inaugurated, superseded by movements coming from the East. These are major lines of flight. There’s another direction in A Thousand Plateaus, which amounts to considering not just lines of flight rather than con­tradictions, but minorities rather than classes. Then finally, a third direction, which amounts to finding a characterization of “war machines” that’s nothing to do with war but to do with a particular way of occupying, taking up, space-time, or inventing new space-times: revolutionary movements (people don’t take enough account, for instance, of how the PLO has had to invent a space-time in the Arab world), but artistic movements too, are war-machines in this sense.

You say there’s a certain tragic or melancholic tone in all this. I think I can see why. I was very struck by all the passages in Primo Levi where he explains that Nazi camps have given us “a shame at being human.” Not, he says, that we’re all responsible for Nazism, as some would have us believe, but that we’ve all been tainted by it: even the survivors of the camps had to make compromises with it, if only to sur­vive. There’s the shame of there being men who became Nazis; the shame of being unable, not seeing how, to stop it; the shame of hav­ing compromised with it; there’s the whole of what Primo Levi calls this “gray area.” And we can feel shame at being human in utterly triv­ial situations, too: in the face of too great a vulgarization of thinking, in the face of tv entertainment, of a ministerial speech, of “jolly peo­ple” gossiping. This is one of the most powerful incentives toward phi­losophy, and it’s what makes all philosophy political. In capitalism only one thing is universal, the market. There’s no universal state, precisely because there’s a universal market of which states are the centers, the trading floors. But the market’s not universalizing, homogenizing, it’s an extraordinary generator of both wealth and misery. A concern for human rights shouldn’t lead us to extol the “joys” of the liberal capitalism of which they’re an integral part. There’s no democratic state that’s not compromised to the very core by its part in generating human misery. What’s so shameful is that we’ve no sure way of maintaining becomings, or still more of arousing them, even within ourselves. How any group will turn out, how it will fall back into history, presents a constant “concern.”5 There’s no longer any image of proletarians around of which it’s just a matter of becoming conscious.

Negri: How can minority becoming be powerful? How can resistance become an insur­rection ? Reading you, I’m never sure how to answer such questions, even though I always find in your works an impetus that forces me to reformulate the questions theoretically and practically. And yet when I read what you ‘ve written about the imagination, or on common notions in Spinoza, or when I follow your description in The Time-Image of the rise of revolutionary cine­ma in third-world countries, and with you grasp the passage from image into fabulation, into political praxis, I almost feel I’ve found an answer. . . Or am I mistaken ? Is there then, some way for the resistance of the oppressed to become effective, and for what’s intolerable to be definitively removed? Is there some way for the mass of singularities and atoms that we all are to come forward as a constitutive power, or must we rather accept the juridical paradox that con­stitutive power can be defined only by constituted power?

Deleuze: The difference between minorities and majorities isn’t their size. A minority may be bigger than a majority. What defines the majority is a model you have to conform to: the average European adult male city-dweller, for example … A minority, on the other hand, has no model, it’s a becoming, a process. One might say the majority is nobody. Everybody’s caught, one way or another, in a minority becoming that would lead them info unknown paths if they opted to follow it through. When a ‘minority creates models for itself, it’s because it wants to become a majority, and probably has to, to survive or prosper (to have a state, be recognized, establish its rights, for example). But its power comes from what it’s managed to create, which to some extent goes into the model, but doesn’t depend on it. A people is always a creative minority, and remains one even when it acquires a majority^ it can be both at once because the two things aren’t lived out on the same plane. It’s the greatest artists (rather than populist artists) who invoke a people, and find they “lack a people”: Mallarme, Rimbaud, Klee, Berg. The Straubs in cinema. Artists can only invoke a people, their need for one goes to the very heart of what they’re doing, it’s not their job to create one, and they can’t. Art is resistance: it resists death, slavery, infamy, shame. But a people can’t worry about art. How is a people created, through what terrible suf­fering? When a people’s created, it’s through its own resources, but in away that links up with something in art (Garrel says there’s a mass of terrible suffering in the Louvre, too) or links up art to what it lacked. Utopia isn’t the right concept: it’s more a question of a “tabulation” in which a people and art both share. We ought to take up Bergson’s notion of tabulation and give it a political meaning.

Negri: In your book on Foucault, and then again in your TV interview at INA,6 you suggest we should look in more detail at three kinds of power: sovereign power, disciplinary power, and above all the control of “communication ” that’s on the way to becoming hegemonic. On the one hand this third scenario relates to the most perfect form of domination, extending even to speech and imagination, but on the other hand any man, any minority, any singularity, is more than ever before potentially able to speak out and thereby recover a greater degree of freedom. In the Marxist Utopia of the Grundrisse, communism takes precise­ly the form of a transversal organization of free individuals built on a tech­nology that makes it possible. Is communism still a viable option? Maybe in a communication society it’s less Utopian than it used to be?

Deleuze: We’re definitely moving toward “control” societies that are no longer exactly disciplinary. Foucault’s often taken as the theorist of discipli­nary societies and of their principal technology, confinement (not just in hospitals and prisons, but in schools, factories, and barracks). But he was actually one of the first to say that we’re moving away from dis­ciplinary societies, we’ve already left them behind. We’re moving toward control societies that no longer operate by confining people but through continuous control and instant communication. Bur­roughs was the first to address this. People are of course constantly talking about prisons, schools, hospitals: the institutions are breaking down. But they’re breaking down because they’re fighting a losing battle. New kinds of punishment, education, health care are being stealth­ily introduced. Open hospitals and teams providing home care have been around for some time. One can envisage education becoming less and less a closed site differentiated from the workspace as anoth­er closed site, but both disappearing and giving way to frightful con­tinual training, to continual monitoring7 of worker-schoolkids or bureaucrat-students. They try to present this as a reform of the school system, but it’s really its dismantling. In a control-based system noth­ing’s left alone for long. You yourself long ago suggested how work in Italy was being transformed by forms of part-time work done at home, which have spread since you wrote (and by new forms of circulation and distribution of products). One can of course see how each kind of society corresponds to a particular kind of machine—with simple mechanical machines corresponding to sovereign societies, thermo-dynamic machines to disciplinary societies, cybernetic machines and computers to control societies. But the machines don’t explain any­thing, you have to analyze the collective arrangements of which the machines are just one component. Compared with the approaching forms of ceaseless control in open sites, we may come to see the harsh­est confinement as part of a wonderful happy past. The quest for “uni-versals of communication” ought to make us shudder. It’s true that, even before control societies are fully in place, forms of delinquency or resistance (two different things) are also appearing. Computer pira­cy and viruses, for example, will replace strikes and what the nine­teenth century called “sabotage” (“clogging” the machinery) .8 You ask whether control or communication societies will lead to forms of resis­tance that might reopen the way for a communism understood as the “transversal organization of free individuals.” Maybe, I don’t know. But it would be nothing to do with minorities speaking out. Maybe speech and communication have been corrupted. They’re thoroughly per­meated by money—and not by accident but by their very nature. We’ve got to hijack speech. Creating has always been something dif­ferent from communicating. The key thing may be to create vacuoles of noncommunication, circuit breakers, so we can elude control.

Negri: In Foucault and in The Fold, processes of subjectification seem to be studied more closely than in some of your other works. The subject’s the boundary of a continuous movement between an inside and outside. What are the political consequences of this conception of the subject^ If the subject can’t be reduced to an externalized citizenship, can it invest citizenship with force and life? Can it make possible a new militant pragmatism, at once a pietas toward the world and a very radical construct. What politics can carry into history the splen­dor of events and subjectivity. How can we conceive a community that has real force but no base, that isn’t a totality but is, as in Spinoza, absolute?

Deleuze: It definitely makes sense to look at the various ways individuals and groups constitute themselves as subjects through processes of subjec-tification: what counts in such processes is the extent to which, as they take shape, they elude both established forms of knowledge and the dominant forms of power. Even if they in turn engender new forms of power or become assimilated into new forms of knowledge. For a while, though, they have a real rebellious spontaneity. This is nothing to do with going back to “the subject,” that is, to something invested with duties, power, and knowledge. One might equally well speak of new kinds of event, rather than processes of subjectification: events that can’t be explained by the situations that give rise to them, or into which they lead. They appear for a moment, and it’s that moment that matters, it’s the chance we must seize. Or we can simply talk about the brain: the brain’s precisely this boundary of a continuous two-way movement between an Inside and Outside, this membrane between them. New cerebral pathways, new ways of thinking, aren’t explicable in terms of microsurgery; it’s for science, rather, to try and discover what might have happened in the brain for one to start thinking this way or that. I think subjectification, events, and brains are more or less the same thing. What we most lack is a belief in the world, we’ve quite lost the world, it’s been taken from us. If you believe in the world you precipitate events, however inconspicuous, that elude control, you engender new space-times, however small their surface or volume. It’s what you call pietas. Our ability to resist control, or our submission to it, has to be assessed at the level of our every move. We need both creativity and a people.

Conversation with Toni Negri Futur Anterieur 1(Spring 1990), translated by Martin Joughin.

Translator’s notes:

1. La loi, les lois: “the law” and “laws” correspond to a judicial system of pos­itive laws enacted in a legal code (such as the Civil Code in France). I use “law” (without a definite article) to translate droit, as a system of rights (droits), “natural law,” Latin jus as opposed to lex.

2. Contre-effectuation: characterized by Deleuze in The Logic of Sense as “counter-acting” the passive encoding of all activity in predefined roles, by playing the self-determining “actor” rather than any externally determined part in events.

3. L’histoire n’est pas I ‘experimentation: on the twin sense of “experience” and “experiment” in the last word, see “Breaking Things Open,” n. 13.

4. Reflections on Cromwell were arguably far more central to French Romanticism—whose birth as a distinct movement is traditionally dated to the publication of Victor Hugo’s Cromwell in 1827—than to its British pre­cursor.

5. Souci: a care, anxiety, worry—something one’s always having to think about.

6. The Institut National d’Audiovisuel, set up by the French government in 1975 as a center for training, research, and development in audiovisual media, partly funded by the French tv networks, and producing a small num­ber of programs for network broadcast.

7. Controle continu, literally “continuous control,” is also the French term for “continuous assessment” in education; formation permanente, here translated as “continual training,” is also the standard term for “continuing education.”

8. A sabot was a worker’s wooden clog.

From: http://www.generation-online.org/p/fpdeleuze3.htm


What was Futur Antérieur ? A major undertaking, ten years of hard work every week in order to produce four issues per year, along with occasional supplements. An expansive undertaking. An expansivity that was not only quantitative but also qualitative. A good journal is like an octopus, continually reaching out and pulling in the theoretical and historical happenings in the environment in which it lives. This journal had a soul — a passionate soul which tried to absorb everything in the world around it which offered theoretical interest, a political choice, an ethical dimension, or simply a joy of life. The soul of a journal is its radical determination to give meaning to everything it touches, to build it into a theoretical tendency, to embrace it within a mechanism of practical activity. Futur Antérieur definitely had a soul. Or rather, many souls. In what follows I shall identify some of them — but identifying these souls does not mean that they can be pinned down. They were in movement, they were multitude ; the alliances within the journal were always in flux, always in a process of continual renewal. A conjuncture which changed, which re-oriented desire.

The journal was born out of the emotion of the fall of the Berlin Wall, in 1989. The question which the founding group posed for themselves was : how to reconstruct — not simply how to ’refound’ — an experience of communism. All the founders of Futur Antérieur came out of the experience of ’68 — some from the French experience, some from the Italian. For the French the post-’ 68 experience had been political and theoretical, within the communist and Troskyiost organisations, within the universities and within the organisations of the far Left. For the Italians — almost all of them political exiles in France — the problems posed in establishing the journal were posed in a continuity with the constructive activity of critical thought and revolutionary activity of the 1970s. As we know, the French ’68 was short, whereas the Italian ’68 was long and lasted for at least ten years. The former was an event, the latter a history. Now we found ourselves together, with different experiences but with a common need : how to build a new perspective for radical transformation of the world while at the same time maintaining a continuity with our hopes for communism.

As I said, the journal was born out of the wave of emotion that followed the fall of the Berlin Wall in 1989. It’s worth noting that all of us who were involved in the founding of the journal drank champagne on the night when the Wall came down. What was showing itself there was a betrayal of socialism : on the one hand Gorbachev’s attempt — to democratise a regime now completely detached from its revolutionary origins — had reached the end of the road. The communist parties of Europe were converting to social democracy at a rate proportional to the extent of the Stalinism of which they had been the bearers : those which had been most Stalinist now became the most social-democratic. In this conjuncture what was important was to intervene, to break, to reverse the tendency : theory had to be re-invented, recognising that, while socialism was dead, communism was possible, and that, if political mediation had run out of possibilities, the common constitution of the social was at hand. So in that conjuncture, the conjuncture that coincided with the fall of the Berlin Wall, theory re-affirmed not a continuity of ideology, but a continuity of struggles. Socialism had been defeated in the conjuncture, but it left us a heritage of organisation, of struggles, of a biopolitical sense of the existing world, which could — to the extent that we were able to detach ourselves from it — be proposed as the basis for a reappropriation and/or a construction of new political means of transformation.

Later the journal was to live the experience of another major conjuncture. It analysed and documented the process of constitution of struggles, from those of the immigrants in the mid-1980s, to the upsurge of the social proletariat of Paris against the first attempts at privatisation by the city council. The great importance of this period of movement was that, on the one hand, it opened a window on the conjuncture that was about to begin, towards the problems that were to characterise the global era of neo-liberalism ; on the other, it expressed and highlighted the new characteristics of living labour. The analysis of the conjuncture was profoundly intertwined with theoretical analysis, so that, beginning with the crisis which intensified between the 1980s and the 1990s, it was able to make statements about the new nature of productive labour. This was the great moment of the history of Futur antérieur. In fact it was through the analysis of the struggles (and certainly not only through sharpening our critique of ideology) that the discovery of what was new in value and in living labour became central to our political analysis.

Today we live in post-modernity. A postmodern analysis of the real does not mean simply analysing what is happening around us in terms of evanescence and global alienation ; it also (and above all) means identifying, in what is happening around us, a productive matrix which reveals, with the new nature of labour, the evanescence, the mobility, the precarious existence of the ontological experience of postmodernism. The struggles of 1995-6 were the place in which the new capitalist mode of production (postmodern, precisely) appeared and simultaneously went into crisis. Futur antérieur charted this process, and was able to describe it in ways that were original and powerful.

In Futur antérieur, our attention to the cultural and political genesis of postmodernity was accompanied by an analysis of the subjects located within the changing nature of labour in the regimes of postmodernity. Immaterial labour, precarious labour, the subsumption of affective labour within and beneath the productive potential of capitalism, the transformation of social cooperation into a fundamental element of value creation — all this became a crucial element of research and theoretical analysis. When these considerations were added to our detailed analyses of struggles, and were articulated with the definition of tendencies, then we were within a change of paradigm : from modernity to postmodernity, from Fordism to postfordism. In short, precisely at that point where the analysis of the present opens the way to an analysis of the future.

In Futur antérieur all this was widely understood and jointly discussed. Furthermore, the discussions about class struggle went hand in hand with a deep reappraisal of the latest themes in French philosophy. Once, in the nineteenth century (says Marx), there was a relation between Germany and France : in Germany metaphysical thought ruled the roost, and this way of thinking about transformation was picked up by the struggles of the workers and the proletariat in France. Futur antérieur represented a similar relationship, but this time between France and Italy in the late twentieth century : now it was Italy which came across as the place of struggles, and France which came across as the place for theory. In Futur antérieur Italian workerism proved itself on the terrain of a philosophy which was innovative in European terms and transformed the socialist thinking of totality into a communist thinking of difference. It was here, in this continuity and in this synthesis, that we saw the powerful emergence of the theme of precarious labour, and that of citizen income [reddito di cittadinanza] ; it was here that — albeit in an atmosphere of major polemic — that new lines began to develop for the development and refoundation of a postsocialist programme.

What more can I say ? Both in the themes that it put forward and in the polemics which enlivened the editorial committee, the journal lived, so to speak, on the outer edge of the possibility of still thinking in terms of socialism, and of the desire to invent communism. The journal lived in a space between a distancing from of socialism, and communist excess.

Before ending I should obviously say something about the limitations in the discourse of Futur antérieur. It was characterised by a certain eclecticism, on a philosophical terrain located between Althusserianism and Foucauldianism, between critique of socialism and traditions of communism, between analysis of struggles and various openings in the critique of ideology. This led to a rather contradictory atmosphere, perhaps contradictory in a positive sense, but often aleatory, sometimes unsure of itself and groping in the dark. The journal was postmodern without wanting to be so, as a result of the internal polemics and the capacity which its editors had, of [pulling] the debate towards a common point, a shared emotion, a utopian projectuality, rather than dissipating the complexity, the radicality and sometimes the contradictoriness of that experience into destructive polemic. However, it is true to say that there was a degree of theoretical eclecticism and a very dispersive philosophical discourse. Another limitation was that the themes of feminism were touched on but not assimilated, even though — for the first time — they were assuming a central role in the elaboration of a communist discourse. Certainly, Futur antérieur did publish in France the writings of Judith Butler, Donna Haraway and many other feminists. The politicised feminist discourse which concluded in the simple demand for equality of rights was systematically attacked and demolished. On the other hand the thematic of female difference found in Futur antérieur a place for its diffusion and a precise appreciation of its value as a political programme. However, that said, Futur antérieur was not capable of embarking on a progressive mechanism of absorption of the theoretical and practical experience of feminism into the themes of postmodernity. This was a big limitation, and was not much lessened by our intellectual and political curiosity.

You, dear readers, cannot imagine the level of polemic, not to mention psychological and physical tension, around the editorial table at Futur antérieur. It was a miracle that this group of comrades was able to work together, coming as they did from the experiences of French Trotskyism post- ’68 and the Italian workerism of the 1960s. But they were able to work together, and the results were excellent. The editorial board of Futur antérieur worked by asking questions and by asking questions of each other. A combined operation of research and theory, conjunctural interventions and attempts at the elaboration of programmes. Futur antérieur broke with the literary and journalistic traditions of the labour movement and in a strange but extremely positive manner renewed many things in the project of communism.

Toni Negri

(Translated by Ed. Emery)

http://multitudes.samizdat.net/-Archives-Futur-Anterieur-